Deux chiffres dramatiques : 146 et 220 000.
146 est le nombre de féminicides en 2019 en France.
220 000, c’est le nombre de femmes victimes de violences conjugales chaque année dans notre pays.
Le triste constat : Je me souviens du coup de téléphone un soir d’un Orléanais qui me signale que sa voisine est régulièrement victime des coups de son conjoint et, ce soir-là, manifestement, elle est à nouveau en danger. Il croit qu’il y a déjà eu signalement sans que cela n’aboutisse à la moindre convocation du mari violent. Je ne sais si cela est exact. J’appelle la police municipale afin qu’elle intervienne mais comme la victime est domiciliée à la frontière entre Orléans et une commune voisine, celle-ci n’est pas compétente.
Craignant pour l’intégrité de cette femme, je compose le numéro de téléphone de la Procureure générale que je dérange assez tard. Elle comprend l’urgence, se montre préoccupée elle aussi par la situation, et prend le dossier en main. La police finit par intervenir. Mais quel parcours du combattant! Et comment penser qu’une femme ainsi menacée, seule et démunie, puisse faire face à tant d’obstacles.
Et pourtant, depuis dix ans, elles sont nombreuses à devoir le faire. On dénombre, en moyenne, plus de 220 000 femmes victimes chaque année de violences conjugales. Et selon des chiffres révélés début février par le ministère de l’intérieur, 90 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en 2020, contre un record de 146 en 2019.
Ce n’est pas aux femmes de quitter le domicile, mais au conjoint violent de faire ses valises en attendant une décision de justice.
A Orléans, en 2018, deux « adresses refuge » ont ouvert leurs portes. Ce sont des appartements ouverts aux femmes et à leurs enfants, 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Des kits d’hygiène leur sont remis en cas de départ précipité du domicile, ce qui est souvent la règle, ainsi qu’un chèque alimentaire, un peu d’argent en espèce, un bon de transport, etc.
Elles peuvent rester jusqu’à quinze jours dans ces logements. Dès leur arrivée, un accompagnement est mis en place pour les écouter, les aider dans une série de démarches administratives essentielles mais pesantes, et leur permettre de trouver une solution pérenne une fois les 15 jours d'accueil écoulés. Un dialogue avec la justice est immédiatement établi pour qu’une ordonnance de protection soit prise à l’encontre des conjoints agresseurs.
Dans le même temps, un lien est noué avec l’inspection d’académie pour que les enfants puissent changer d’école en urgence. Pour la ville d’Orléans, cela représente une enveloppe de 100 000 euros qui prend également en compte la formation des travailleurs sociaux. Pas grand-chose au regard de cette détresse qu’il est impératif de soulager. Ces « adresses réfuge » ont donc l’immense mérite de permettre à ces femmes d’être soutenues, aidées, et de ne pas être séparées de leurs enfants.
Proposition : Il faut aller plus loin, jusqu’à inverser le système actuel. Ce n’est pas aux femmes de quitter le domicile, mais au conjoint violent de faire ses valises en attendant une décision de justice. Cela relève, à nouveau, du simple bon sens. N’ajoutons pas à une souffrance physique et morale une nouvelle forme d’injustice. Cette mesure d’éloignement doit être systématisée. Là encore, la règle doit être la tolérance 0.
Les dispositifs restent insuffisants et encore très largement à la discrétion des communes qui décident ou pas de les investir.
Il y a quelques années, un procureur à Douai avait eu la bonne idée de placer les maris violents dans un centre d’hébergement ouvert en temps normal aux SDF. Des centaines de conjoints avaient séjourné pendant quinze jours dans l’un de ces centres, régis par des règles strictes : pointage tous les soirs à 18 h 30, corvées ménagères quotidiennes, partage d'un même dortoir. Le tout rythmé par des séances de thérapie de groupe obligatoires qui pouvaient être l'occasion de vrais déclics. « Autant vous dire qu'ici, ils perdent leur statut de "dominant"1 », témoignait alors un éducateur. Et, bien sûr, durant ces quinze jours, interdiction leur était faite de rentrer en relation avec leur femme.
Certaines épouses en profitaient pour demander le divorce, d’autres pour changer les serrures de la maison, d’autres encore pour renouer un contact enfin apaisé avec leur mari. En tous les cas, elles avaient enfin la possibilité de reprendre possession de leur vie, de choisir la direction qu’elles voulaient librement lui donner. Et, enfin, de ne plus subir.
L’exemple des violences faites aux femmes illustre à quel point notre société, à force de tergiverser et de prendre le problème par le mauvais bout, a perdu une partie de son humanité. Ces femmes sont laissées seules, sans soutien ou presque. Heureusement, policiers et gendarmes ont commencé à recevoir des formations pour répondre plus justement à cette détresse qui surgit en pleine nuit. Mais les dispositifs restent insuffisants et encore très largement à la discrétion des communes qui décident ou pas de les investir.
Je propose donc que l’exemple de Douai soit généralisé.
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