(Photo DR.) 40 ans que l’on échoue en France à assurer la sécurité des personnes et des biens. De quoi se poser des questions ! Pourquoi une telle impuissance des politiques publiques ?
Que peut-on faire ? N’est-ce pas impossible ou trop tard comme le pensent beaucoup d’entre nous ?
Et comment le faire ?
D’abord en posant bien le sujet. Or, je constate l’inverse. Je suis au regret d’affirmer que trop de responsables politiques, parfois de candidats à l’élection présidentielle, disent n’importe quoi. Soit pour nier l’évidence de la réalité de la délinquance, soit à l’inverse pour crier au loup et faire de la basse démagogie en parlant d’explosion de violence. Et chacun de s’engouffrer dans la litanie des grands discours du style « on va voir ce qu’on va voir » et souvent avec de fausses solutions qui, évidemment, ne produisent aucun résultat.
Il est vrai que la réalité de cette délinquance et la mesure des politiques conduites sont difficiles à appréhender. Parce que les chiffres peuvent être différents, voire contradictoires, parce que chacun prend ceux qui l’arrangent, bref, parce que tout le monde (moi aussi), a ses a priori et parfois ses idées reçues.
Depuis cinquante ans, les crimes et délits ont fortement augmenté
Bien ! Je veux tenter d’en sortir. Essayer déjà d’objectiver le sujet. Pas simple au regard des passions qui l’animent. C’est l’objet de cette chronique. Avec non pas un seul chiffre mais plusieurs qui, je le crois, sont significatifs. Je les ai triturés si je puis dire et recoupés autant que possible. Je les pense fiables. Ils sont issus de différentes sources sérieuses. Je les citerai pour que chacun, s’il le souhaite, puisse vérifier. Cela risque de surprendre. Mais voilà, c’est le constat que je fais, en toute sincérité.
Ensuite, je reviendrai sur l’exemple d’Orléans, non pas pour se mettre en avant ou manifester une autosatisfaction qui serait déplacée mais parce que nous obtenons des résultats et parce que nous y avons une expérience de vingt ans qui peut être utilement partagée. Ce sera dans une prochaine tribune. À l’issue, je verserai au débat des propositions claires, nettes et précises parce que j’en ai assez des grands discours creux des uns et des autres, notamment à l’approche de l’élection présidentielle.
Les chiffres :
D’abord de la délinquance. De quoi parle-t-on ? Y a-t-il plus ou moins de violence en France et depuis quand ?
Depuis cinquante ans, les crimes et délits ont fortement augmenté : De 15 pour 1000 habitants dans les années 1960 à une moyenne de 60 pour 1000 habitants dans les années 2000. Avec un pic à presque 70 pour 1000 en 2003/2005. (Source : Centre d’observation de la société).
De l’ordre de plus de 3 millions de faits constatés de délinquance depuis les années 2000 contre moins de 1 million dans les années 1960.
En 1975, on comptait environ 100 000 victimes. Dans le début des années 2000, environ 400 000 par an. (Source : Insee, Portrait social, 2002/2003).
En revanche, depuis une vingtaine d’années, le nombre des faits de délinquance s’est stabilisé avec des oscillations et des contrastes importants.
Ainsi, les vols avec violence ont diminué de 120 000 en 2000 à 90 000 en 2019 (Source : état 4001, dépôts de plaintes). Le nombre de victimes de violences physiques hors ménage a également diminué de 875 000 en 2008 à 693 000 en 2018. (Source : Insee et Service statistique ministériel de la sécurité intérieure). En revanche, les dépôts de plainte pour coups et blessures volontaires ont augmenté de 200 000 en 2008 à 240 000 en 2018, puis 260 000 en 2019. (Source : Service statistique ministériel de la sécurité intérieure).
Au total, il y a bien une augmentation de la délinquance sur un demi-siècle mais il n’y a pas d’explosion depuis une vingtaine d’années. Nous sommes plutôt sur une délinquance forte mais stable.
Sujet (et polémiques !) permanent : Quelle est la part des mineurs dans cette délinquance et comment évolue-t-elle ?
Les mises en cause de mineurs sont plus nombreuses : 80 000 dans les années 1970, (82 000 en 1977), 99 000 en 1999, (Source Sénat) 226 000 en 2010. Elles ont un peu diminué depuis pour arriver à 209 000 en 2018. Elles représentent de l’ordre de 20% du total des mises en cause. (Source : Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales).
On constate, en revanche, moins de condamnations de mineurs dans les années 2010 que dans les années 1980. Certains y verront aussitôt le signe du laxisme de la Justice. Erreur pourtant.
Dans les années 1990, 50 000 affaires étaient classées sans suite chaque année contre seulement 10 000 dans les années 2010. Moins de classement sans suite donc, a priori, moins d’impunité. Alors comment expliquer le constat ? D’une manière simple : dans les années 2010, les alternatives à la condamnation se sont multipliées. On partait de 0 en 1992 pour atteindre 80 000 en 2012. (Source : Ondrp).
Le fait qu’il y ait moins de condamnations ne signifie donc pas qu’il y a moins de peines et plus d’impunité mais que d’autres réponses sont mises en œuvre. On peut les critiquer mais on ne peut pas crier au laxisme. Voilà comment on peut se tromper d’analyse et donc de solution. Mauvais diagnostic, mauvaise réponse.
Autre totem : l’application des peines.
Aux dires de certains, nombre de peines prononcées ne seraient pas appliquées. On a cité 100 000 peines, parfois moins. (Ce chiffre a été cité, semble-t-il, par le ministère de la Justice en 2013). Quelle est la réalité actuelle ?
Le nombre de détenus a augmenté : 29 000 détenus dans les années 1970 à 62 000 actuellement pour 59 000 places de détention. (72 000 détenus en mars 2020, niveau semble-t-il le plus élevé avant les mesures de libération pour cause de Covid).
Chaque année, 260 000 peines d’emprisonnement sont prononcées dont 120 000 fermes. Et, contrairement à ce qui est dit, elles sont largement exécutées. Sur l’ensemble des condamnations, 89% sont appliquées dont 73% au cours de l’année qui suit le jugement et le taux de mise à exécution est plus élevé à bref délai pour les peines les plus lourdes. Si certaines peines ne sont pas exécutées, c’est souvent parce qu’il y a appel ou encore que le jugement est prononcé en l’absence de l’auteur des faits. (Source : Ministère de la Justice, Infostat justice, juin 2018).
L’idée de laxisme de la Justice et d’impunité des délinquants ne tient pas
Conséquence : L’idée de laxisme de la Justice et d’impunité des délinquants ne tient pas. Il n’est pas sérieux de l’affirmer lorsque l’on est candidat à la Présidence de la République. Là encore, erreur de diagnostic et erreur de solution. Les problèmes sont d’abord à chercher ailleurs comme, par exemple, dans les délais de jugement et la lenteur de la Justice.
Sujet tabou : La délinquance étrangère. Qu’en est-il exactement ?
Oui, il y a une surreprésentation des étrangers dans la délinquance. 23% des détenus sont des étrangers pour 7% d’étrangers dans la population. Quant à la part des Français d’origine étrangère au sens de l’Insee, elle n’est pas connue précisément mais elle est importante à l’évidence.
Pour en terminer avec ces chiffres austères : Au moins 19 lois votées depuis 2000 pour lutter contre la délinquance. Et encore deux en discussion actuellement ! Soit une par an en moyenne. Pour quels résultats ? Je pose la question !
L’analyse :
La délinquance a fortement augmenté en un demi-siècle. Elle est plutôt stable depuis les années 2000. Mais, elle recouvre des formes multiples que les seules statistiques ne peuvent pas permettre d’appréhender. De nouvelles formes de délinquance sont apparues ou se sont amplifiées : terrorisme, attaques contre les forces de l’ordre et refus d’obtempérer, phénomènes de bandes et appropriation du terrain comme les occupations de halls d’immeubles et autres attroupements, trafics de stupéfiants. D’autres sont plus dénoncées qu’autrefois comme les violences faites aux femmes et le harcèlement de rue, et c’est tant mieux.
Les détentions ont également sensiblement augmenté et les peines sont globalement exécutées. Même si je sais que l’idée est largement admise, le soi-disant laxisme reproché à la Justice est plus une tarte à la crème qu’une vérité.
En revanche, il manque toujours de places de détention et/ou de peines de substitution.
Sujet tabou par excellence, les étrangers sont surreprésentés dans la population carcérale et donc dans les faits de délinquance.
Les réponses ne sont certainement pas dans le toujours plus de loi, le renforcement de l’arsenal pénal, des peines accrues. Tout cela a été fait et ne fonctionne pas.
La proposition : Partir de ces données et de la réalité des formes multiples de délinquance et de violence, faire preuve de pragmatisme et d’efficacité, loin de toutes les démagogies. Avec un seul objectif : réduire fortement toutes ces délinquances qui nous pourrissent la vie. C’est possible. Il faut pour cela, du sérieux et du concret. Je vais y revenir très prochainement.
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